Merci de ce témoignage fort poignant. On imagine facilement la détresse dans laquelle vous a plongé cette situation totalement inattendue, une épreuve qui ne pourra s’oublier.
D’emblée, n’ai jamais observé un tel comportement dans la harde où, vivant dans une liberté absolue, elles auraient, de toute façon, la possibilité de fouir à ce genre d’attaque, si, du moins, il s’agit bien d’une attaque… Par ailleurs, suis naturaliste, pas vétérinaire, donc vous livre modestement quelques réflexions personnelles.
Comme déjà remarqué par d’autres intervenants, il arrive, de temps en temps, qu’un bouc s’énerve sur une chèvre s’il n’arrive pas à ses fins, soit en courant après, soit en lui donnant des coups de cornes, sur les siennes, ou, très rarement, sur le flanc du corps, mais, jamais (du moins ici), aucun bouc ne s’est cabré et abattu de toutes ses forces sur une chèvre (comme ils le font dans les combats entre mâles).
Ce comportement agressif extrême va totalement à l’encontre de toute logique biologique, même s’il était observé entre mâles seulement. Dans la nature, des mécanismes d’inhibition intraspécifiques existent afin d’éviter ce genre de tuerie, tant entre les mâles que, et a fortiori, entre mâles et femelles. Il s’agit toujours d’éloigner, d’écarter, de défendre un territoire, une ou des femelles, etc., de montrer sa force, mais pas de tuer le, ou les, prétendant. Biologiquement, l’espèce serait perdante si elle s’engageait dans des boucheries, or tout est mis en place pour les éviter. De fait, mais rarement, des incidents mortels arrivent, mais, au départ, ils ne sont pas recherchés.
On se retrouve, dans une telle situation, un peu comme dans une enquête policière, arrivant sur une scène, en présence de cadavres et de blessés, et l’on tente, en l’absence de témoins, de reconstituer le fil des évènements. Si l’on peut compter sur une sorte de médecin légiste via un vétérinaire, malheureusement, il n’y a quasi jamais d’enquête, faute d’intérêt, de temps, de moyens divers, et l’affaire tourne court, dossier classé. Or c’est bien d’enquêtes, non pas policières, mais scientifiques, dont on aurait besoin dans de telles affaires, permettant d’élucider ces mystères, et, éventuellement, prévenir qu’ils ne se reproduisent par la suite, ici ou ailleurs.
- Citation :
- Les chèvres ont été massacrées par Luka..........
Même si les chèvres sont résistantes, on peut supposer la présence d’ecchymoses, de coups, de fractures, d’hémorragies internes pour en arriver là, autant de choses qui demandent une autopsie, ou, à tout le moins, une palpation du corps ? Fut-ce le cas ?
- Citation :
- D'après le vétérinaire et plusieurs éleveurs que j'ai pu rencontrer depuis, il semblerait qu'il ait eu une montée soudaine de testostérone. Il voulait absolument saillir, mais les chèvres n'étaient plus en chaleur... Alors il les a tapées, tapées, tapées jusqu'à ce que mort s'en suive pour certaines...
Comme fort justement remarqué par une intervenante, les changements hormonaux prennent du temps à se mettre en place, mais aussi pour revenir à des valeurs normales ; jamais en un jour donc. La plupart du temps les chèvres ne sont pas en chaleur, donc cette situation de « manque » peut être considérée comme normale chez les boucs. Par ailleurs, il faut tenir compte de deux facteurs : la présence et l’odeur du bouc provoquent l’œstrus, et, d’un autre côté, l’odeur libérée par les chèvres indique au bouc si elles sont prêtes ou non. Or si le bouc était excité, c’est qu’il y avait au moins une chèvre ou une chevrette (elles peuvent déjà émettre des phéromones sexuelles âgées de plusieurs semaines seulement et être fécondables à 2 mois) ; mais, apparemment, aucune chèvre (ou chevrette?) n’était prête dans ce cas.
Simple question : étaient-elles dans l’obscurité totale durant la nuit ? (Présumant qu’il faut aux caprins en général un minimum de lumière pour se mouvoir, et a fortiori pour mener des attaques d’une telle ampleur).
- Citation :
- En fait, il ne faut jamais, jamais, laisser les mâles avec les femelles dans un parc réduit, ensemble... Dans la journée, elles ont un échappatoire, mais la nuit, dans un espace réduit, si le problème survient, elles sont coincées...
En fait, c’est pourtant la situation classique dans laquelle se trouve l’énorme majorité des chèvres dans les élevages : un ou quelques boucs parmi un nombre bien plus élevé de chèvres (sexe ratio totalement artificiel, résultant d’une sélection, et sans rapport avec ce qui se passe dans la nature). A l’échelle mondiale, on tourne autour de quelque 800 000 millions de caprins en élevage (et plus d’un milliard pour les ovins), c’est considérable, et un nombre aussi très important d’éleveurs ou de détenteurs de caprins ; étant donné ces chiffres, si le comportement létal imputé au bouc était soit dans la norme soit même observé sporadiquement, on devrait, malgré tout, enregistrer des occurrences du phénomène assez fréquemment (encore une fois, vu le nombre élevé d’individus), est-ce bien le cas ? Dispose-t-on de statistiques sur ces cas ? En France ou ailleurs dans le monde ? Et a-t-on pu prouver, d’une manière irréfutable, que ces décès étaient bien imputables à des attaques de boucs en chaleur ?
On s’étonnera aussi que, vu le nombre astronomique de chèvres, de boucs, d’éleveurs, de situations différentes, etc., personne n’ait jamais assisté, en direct, à de telles scènes, alors que cela fait quelque 8000 ans que les chèvres vivent à nos côtés… On les sait intelligentes et vives, mais de là à déployer une stratégie qui consiste à toujours attendre la nuit pour opérer leurs méfaits, bien à l’abri des regards et des témoins…
On peut aussi se tourner vers un phénomène d’origine physiologique, comme une neuropathologie qui entraînerait un trouble du comportement (mais, ici aussi, on pourrait s’attendre à une certaine permanence dans ce comportement ou, au moins, une manifestation épisodique, or il n’en est rien.).
Reste alors l’explication, comme aussi exprimée par d’autres, d’une origine exogène, mais laquelle ? D’origine alimentaire, parasitaire, autre ? L’avantage de celles-ci, si établies bien entendu, est qu’elle pourrait être reproduite expérimentalement, sous contrôle évidemment.
Si c’est d’origine exogène, on peut aussi se demander pourquoi seuls les mâles en seraient affectés ? Une plante toxique, par exemple, est, a priori, toxique de la même manière pour les deux sexes.
Léna : coups ou intoxication alimentaire.
Djiboute : là, on parle clairement de « graves blessures », ne peut donc pas provenir d’une plante ou d’un parasite.
- Citation :
- Il semble que mon cas ne soit pas si rare que cela.
En parlant autour de moi, j'ai pu constater que cela arrivait régulièrement dans les élevages. ils sont très nombreux par ici, surtout les moutons et les bovins...
La solution réside peut-être ici, où il faudrait vraiment enquêter, de manière coordonnées sur ces cas, passés et à venir. Internet facilite grandement les coordinations et les échanges, et la création d’un lieu où reporter tous les cas (ou utiliser un réseau déjà existant). Cela peut se faire en contactant un maximum de détenteurs de caprins et d’ovins. Idéalement, il faudrait pouvoir obtenir la collaboration d’une faculté de médecine vétérinaire, où un doctorant ou post-doctorant y consacrerait sa thèse, en travaillant sur les cas d’un ou plusieurs départements, en menant à chaque fois une enquête détaillée portant sur
-race(-s)
-sexe
-combien de mâles et combien de femelles
-leur âge
-qui est écornés, qui ne l’est pas
-milieu : où vivent-ils, de jour, de nuit.
-La nuit, sont-ils plongés dans l’obscurité totale (étable, abri), ou partielle (éclairage publique, lumière de la lune, autre)
-fait enregistré à quel moment de l’année
-présence d’autres animaux (au moment des faits) dans leur lieu de vie
-possibilité de fouir ou de se mettre à l’abri (relief, une table, une planche en hauteur, etc.)
-analyse hématologique
-analyse toxicologique, etc.
-analyse des selles
-analyse des urines
-analyse de l’alimentation
-etc.
-hormis chez les chèvres, chez quelles autres espèces a-t-on observé des faits similaires ? Avec quelle fréquence ? Élucidation de la (ou des) cause des décès.
Naturellement, en optant pour un recours à la médecine vétérinaire, on fait le choix, a priori, d’une approche relevant de la pathologie plutôt que d’un comportement normal, qui lui conviendrait mieux à des zoologistes, et en particulier des éthologistes ; difficile de trancher donc, mais, de toute façon, en cas de problèmes, c’est toujours un vétérinaire que l’on appelle et non un zoologiste.
Divers traités de médecine vétérinaire ont été consultés sans toutefois pouvoir trouver des informations qui ressemblent au tableau décrit ici, ni de façon aiguë ni de manière chronique. Il y a bien quelques pathologies qui affectent le système nerveux, et donc peuvent influer directement sur le comportement (comme la rage, les effets de certains germes pathogènes, etc.), mais, habituellement, sont alors accompagnées d’autres symptômes sans rapport avec ce qui est présenté dans le cas apparu le 21 octobre.
- Citation :
- Je n'y connais vraiment rien en chèvre mais je sais que le mouton a pour ancêtre le mouflon.
Sous le mot « mouflon », il y a en fait une multitude d’espèces réparties sur le globe, beaucoup appartiennent au genre
Ovis, et d’autres au genre
Ammotragus. Communément, lorsque rien n’est précisé, c’est au mouflon européen (
Ovis aries var.
musimon) (= mouflon corse) que l’on pense. A priori, vu l’importance des moutons (et des chèvres) pour nous, et depuis si longtemps, on pourrait penser qu’il y a bien longtemps que tout est connu sur eux, comme leur origine par exemple ; en fait, ce n’est pas le cas. Tant leur origine phylétique que les relations entre espèces et genres font toujours débat : certains voient dans le mouflon européen l’ancêtre des moutons, tandis que d’autres le considère comme une souche ancienne de moutons domestiques retournée à l’état sauvage. Certains auteurs le considère même comme une espèce à part (
Ovis musimon), alors que d’autres le traite comme une sous-espèce du mouflon asiatique (
Ovis gmelini ou
O. orientalis), et d’autres encore comme une simple race du mouton domestique (
Ovis aries) ou même du mouflon de l’Altaï (
Ovis ammon). Une approche multidisciplinaire (morphologie comparée, physiologie, biochimie, génétique, éthologie) sera sans doute nécessaire afin de reconstruire l’histoire évolutive des ovins (et des caprins aussi).
- Citation :
- Si on laissait un troupeau vivre librement sa vie avec une représentation équilibrée de mâles, de femelles de plusieurs générations on pourrait observer une séparation naturelle du troupeau en deux peu avant les mises bas: un troupeau constitué de tous les mâles sevrés et un troupeau de femelles avec les petits.
C’est effectivement comme cela que sont structurés les groupes chez le mouflon européen, avec les sexes séparés, sauf au moment de la reproduction.
Chez les chèvres férales (
Capra hircus) (à ne pas confondre avec les chèvres sauvages, d'où l'espèce serait issue), on peut trouver tantôt des hardes avec des sexes séparés, tantôt avec les deux.
Par contre, chez les chèvres sauvages (
Capra aegagrus) (n'ayant donc jamais été domestiquées, depuis toujours), là les sexes vivent séparés.
Que conclure ?
Le cas rapporté demeure largement mystérieux quant à la (ou les) cause ayant mené à ces décès et autres problèmes. Tous les évènements rapportés ne sont pas nécessairement reliés entre eux. Il faut, comme vous l’avez très bien fait, rester ouvert à tout, questionner, remettre en cause au besoin, et ne rien rejeter a priori ; ces situations peuvent être complexes à démêler. Il est clair qu’une coordination entre les détenteurs de caprins et des vétérinaires sera sans doute nécessaire pour élucider tous ces cas. Un beau défi en l’occurrence qui, si résolu, permettra sans doute, espérons-le, à sauver des vies ; nous tenons à la vie, elles aussi…
Ouvrages consultés :
Gordon, Ian, 1997 : Controlled reproduction in sheep and goats. CAB International, 475pp.
J. G. Matthews, 2016 : Diseases of The Goat. Willey, 462pp.
D. Hardwood & K. Mueller, 2018 : Goat Medicine and Surgery. CRC Press, 393 pp.
Mary C. Smith and David M. Sherman, 2009. Goat Medicine, Second Edition, Wiley-Blackwell, 870 pp.
D.G. Pugh, A.N. Baird. 2012. Sheep & Goat Medicine.- 2nd ed
Elsevier Inc., 633pp.
Radostits Otto M., Gay Clive C. , Kenneth W. Hinchcliff K W., Constable P.D., 2006. Veterinary Medicine. A Textbook of the Diseases of Cattle, Horses, Sheep, Pigs and Goats 10th Edition, Elsevier, 2162 pp.
Duncanson Graham R 2012. Veterinary treatment of sheep and goats. C.A.B. International, 341 pp.